« Personnellement je n’ai jamais vu la moindre femme à poil à Béthune, Pas-de-Calais. 
Alors où ? »



La femme à poils m’a toujours intrigué. Jadis un camarade à moi détenait un stock considérable de « play-boy » et autres « Lui », magazines « de l’homme moderne ». Nous étions hommes, et à la pointe de la modernité. Pas de doute, ce magazine était pour nous.

La question qui nous taraudait avec les copains : où diable  pouvaient-elles  habiter, ces femmes à poil ? On examinait attentivement les arrière-plans des photos, des fois qu’une plaque de rue apparaîtrait. Confusément, on sentait bien qu’il y avait une chance infime que ce soit une rue de Béthune (62). Personnellement je n’y avais jamais vu traîner la moindre femme à poil, et quiconque a jamais fréquenté cette sous-préfecture du Pas de Calais, conviendra que c’est pas demain la veille.

L’hypothèse vers laquelle nous nous orientâmes, fut celle d’un pays quelque part, où ne vivraient que des femmes à poil. Un genre de réserve naturelle. Rien que l’idée faisait rêver les explorateurs en herbe que nous étions. Bouchères, crémières, postières…Toutes à poil. Le joli pays ! Là aussi, nos recherches tournèrent court :  les cartes de nos livres de géo signalisaient bien les ressources pétrolifères d’un petit derrick, et l’or d’un fringant lingot, mais nulle silhouette à forte poitrine pour nous faire soudain pointer du doigt le paradis terrestre, le royaume du téton folâtre et du poil en liberté.

Ne nous restait alors que la fonction première à laquelle ces magazines de salubrité publique étaient dévolus : la branlette. Mon camarade distribuait les exemplaires. On choisissait surtout en fonction de la « dépliante centrale », avec ses rabats qui offraient la totalité de la dame. L’idée était aussi de ne pas reprendre deux fois la même, car à cette époque volage on ne s’attachait guère, et il nous fallait sans cesse de la nouveauté. L’autre impératif absolu, était d’éviter les pages collées entre elles par les prestations de la dernière fois.

Ensuite, chacun disparaissait dans une chambre de la vaste maison des parents du copain, lesquels étaient absents, on le devine. Moi je me retrouvais dans la chambre de la grand-mère. Et j’affirme qu’il faut un imaginaire chevillé au corps et une bonne puissance de concentration pour accomplir son office dans cet environnement lugubre de tentures, ces crucifix au mur et le verre-à-dents  sur la table de nuit. Mais l’attrait de la belle était supérieur à l’odeur de mort qui flottait. Jamais plus qu’en ces instants je n’ai senti à la lutte ces deux puissances que sont Eros et Thanatos.

Un jour, de passage chez l’ami, j’ai vu Sa grand-mère étendue sur le lit, et le prêtre délivrant les derniers sacrements. Ce même lit, où Jessica la tigresse m’avait entraîné dans sa folle sarabande. Deux images impossibles à superposer. Comme toujours l’esprit de l’enfant ne saisit que le détail. Moi j’ai revu en flash ma générosité séminale glisser sur le papier et atterrir sur le couvre-lit. Celui-là même où gisait la future défunte, sur le dos. Or  chacun connaît le du fort pouvoir collant de la « jute » séchée (combien de prépuces adolescents douloureusement collés au slip ?!).

Je me suis enfui avant qu’on ne s’aperçoive que la vieille dame était indécollable. Qu’il faudrait se résoudre à l’enterrer avec son couvre-lit, souillé par un jeune irresponsable qui faisait là son apprentissage de l’amour et de la mort indissolublement liés.