« Que font de leurs journées
ces dix filles au milieu des branches ? »


Aujourd’hui, j’ai entendu Michel Jonasz à la radio. De sa voix plaintive de saint martyr se lamentait en ces termes avec force trémolos : « Dîtes moi qu’elle est partie pour un autre que moi, mais paaas à côôôse de moi ». je n’ai jamais très bien compris la nuance. Dans les deux cas, c’est nul. Qu’elle te quitte pour une raison X (tu pues de la gueule) ou qu’elle te quitte pour un autre qu’elle préfère, qui est mieux que toi, qui la fait mieux jouir que toi, qui est plus drôle, tellement plus spirituel, plus musclé et qui pue moins de la gueule… OU EST LE BENEFICE ? C’est quoi l’avantage, Michel ? Qu’on m’explique la raison de pavoiser si « elle est partie pour un oootre que moooi » !

En plus, je vais te dire une bonne chose, mon petit Michel, puisque tu supplies qu’on te dise : en ce qui te concerne, ça serait plutôt la ceinture et les bretelles. Avec ta façon de geindre, tes poses douloureuses, et tes yeux plissés de chien mouillé qui gémit, non seulement la gonzesse elle est partie (en courant) à cause de toi, mais en plus elle est partie pour un autre que toi, parce que n’importe qui d’autre que toi, ça va lui faire des vacances.

Tu parles d’une consolation. Un autre que moi ! Ce qui me consolerait, c’est qu’elle ne trouve JAMAIS un autre que moi. Qu’elle erre sur cette Terre comme une damnée qui a commis LA faute absolue, la connerie intersidérale de me quitter, et s’aperçoive qu’elle ne pourra jamais me remplacer. Aucun prétendant ne réunissant les qualités d’être moi, que moi seul possède. Et pourtant ils se bousculent au portillon, pour prendre ma suite, les impudents. Mais ils ont tous ce détail qui tue, ce handicap rédhibitoire de n’être pas moi. Et donc, c’est non, désolé, passez votre chemin. Je lui manque et tout est dépeuplé. Ca, ça ferait une bonne chanson, Michel.

Mes amis ont pour moi une phrase aussi stupide : « les filles, tu tapes du pied dans un arbre, y en a dix qui tombent ». En gros : t’auras vite fait d’en trouver une autre. J’admire chez eux la rapidité avec laquelle ils font leur deuil de ma relation amoureuse, et comment ils envisagent facilement pour moi une autre histoire. Ils oublient un détail : aucun être humain sur cette terre, abandonné par celle qu’il aimait, n’a envie de taper du pied dans ce fichu arbres à filles et de s’en prendre dix sur le coin de la tête. Non. Il n’en veut qu’une et elle ne risque pas de tomber de cet arbre, elle n’y est jamais montée.

Au passage, que font de leurs journées ces dix filles au milieu des branches ? Mystère… Et comment mes amis envisagent-il si aisément que l’une de ces femelles arboricoles puisse remplacer la femme de ma vie, si raffinée, si cultivée, alors que dans ces branchages frustres, on doit peu avoir l’occasion de s’adonner aux arts et à la culture, à tous les coups je récolterais une fille un peu simplette, sans aucune conversation.

Et puis, excusez-moi, ces filles qui tombent comme un fruit trop mûr (déjà l’image n’est pas ragoûtante), c’est trop facile ! Où est le désir, l’attente infinie sous un réverbère pour L’entrevoir une seconde ? Si elle s’aplatit comme une bouse à mes pieds, disponible, offerte… Quelle valeur à mes yeux d’amoureux transis, sevré au mythe de la féminine rareté, de la belle effarouchée ? En plus on m’en pronostique dix, pas moins, s’écrasant autour de moi, véritable bombardement ovarien. Au secours !
Alors Michel et les autres, arrêtez de me consoler, d’accord ?