«Quel dommage, ces bouts de cervelle sur
les moulures du plafond ! »



Les inconvénients du suicide, on les connaît : privation de vie, placement sous terre dans une boîte fermée, immobilité totale et pourriture. Rien de très excitant a priori. Mais si l’on excepte ces désagréments, on ne peut  dénier au suicide un côté romantique. Ca vous a un côté « panache », la vie doit être grande ou alors non merci. Le suicidé est un être entier. (Ensuite, s’il est passé sous une rame de métro, c’est déjà moins le cas.)

Quand on se suicide, les autres se sentent tous coupables. C’est génial ! (surtout cette fille qui m’a quitté, Isabelle…) . Comment le nier, il y a dans mon geste fatal la volonté de la punir. Je la veux sur ma tombe, brandissant les mains au ciel : « qu’ai-je fait, mon Dieu ? » Si j’avais su etc . Ben oui, Isabelle, mais il fallait y penser avant.

Or là nous sommes encore dans les temps pour qu’elle y pense, car je n’ai pas commis l’irréparable. Mais elle il n’y pense pas. Je suis confronté à ce paradoxe qu’il me faut le commettre pour qu’elle y pense, mais qu’une fois commis, ça ne sert plus à rien. C’est rageant.

En tous cas, nous venons de mettre le doigt sur le point faible du dispositif : l’impossibilité de jouir de son suicide. Le plus ennuyeux dans la mort, c’est son côté définitif. Même les théories sur la réincarnation ne me sont d’aucun secours, car s’il me faut attendre trois vies pour la retrouver et lui balancer « haha ! Je t’ai bien eu, hein ? Tu fais moins la fière ! »…

Parlons plutôt de la méthode. Je suis toujours étonné du protocole un peu tordu employé par les suicidés. A croire qu’il n’ont plus toute leur tête (sans jeu de mots). Ceux qui se jette sous un train, par exemple. C’est une grosse connerie. Au niveau de l’apitoiement sur soi, c’est zéro. L’ensemble des voyageurs peste contre vous. Ou alors le coup du fusil dans la bouche… Pour l’efficacité, OK. A cette distance, il faut être super maladroit pour rater la cible. Mais quel dommage, ces bouts de cervelle sur les moulures du plafond.

De toutes façons, ces atteintes à l’intégrité physique me paraissent un mauvais calcul. Sauter par la fenêtre et risquer la grosse bosse, non. Moi je veux qu’elle vienne reconnaître mon corps à la morgue avec douleur et recueillement. Pas qu’elle se retienne de pouffer à cause de mon œil de travers ou de mon nez en patate.

Personnellement j’inclinerai pour la corde et la poutre. Je place mes espoirs dans cette légende tenace de l’ultime érection. Quelle belle fin ! Il reste que l’étranglement me pose un réel problème. Déjà quand je ferme le dernier bouton de mon col de chemise, je me sens mal…Je ne suis pas sûr d’avoir le courage du dernier coup de pied dans le tabouret. Et finalement mourir de faim, bloqué dans cette position, m’apparaît du dernier ridicule, dont on dit qu’il ne tue pas, alors que là si ! Plutôt deux fois qu’une.

Un ami à moi qui travaille dans une morgue m’a raconté un jour l’un de ses jeux favoris : injecter à la seringue un produit qui fait durcir les sexes d’homme. Je ne le juge pas. J’estime que les sources de réjouissance sont rares dans les instituts médico-légal, et que l’humour thanatopracteur doit avoir droit de citer.

Du coup la complicité de  cet ami me permet de cumuler les avantages de l’ultime érection et d’une fin sans douleur. Deux tube de somnifère, et hop, quand on fera coulisser le tiroir de la morgue devant Isabelle et que le diable érectile sortira de sa boîte (sous mon beau costume noir, tout de même), l’hommage posthume à sa beauté sera complet.

On peut trouver scabreux cette facétie physiologique. Cependant, je voudrais qu’on  n’y voit rien d’autre qu’une une belle offrande à la femme aimée, l’évocation émouvante de nos anciennes joutes, une manière allusive et délicate, finement sous-titrée, de lui signifier mon amour par delà les rivages du Styx, quand bien même le reste du corps serait muet pour l’éternité.