« Génétiquement, la fille ne peut résister
à une telle programmation »


Comment s’y prennent les types qui enchaînent les conquêtes ? Je suis sûr que ce n’est pas une question de physique. J’en ai connu un, il avait les dents en avant. Et il était petit. Eh bien, il attaquait bille en tête ! Quel toupet ! A sa place, j’aurais commencé par m’excuser de ma petite taille, puis j’aurais précisé que je regrettais de ne pas avoir porté plus longtemps mon appareil à redresser les dents. Le préalable minimum, ce me semble. Je considère que c’est une forme de politesse, quand on ne réunit pas tous les canons de la beauté.

Moi-même, n’étant pourtant affublé d’aucun strabisme, ni d’aucune jambe plus courte, ou autre verrue sur le nez, j’ai conscience de ne pas être le prince charmant des livres qu’on est en droit d’attendre, et bredouille souvent quelques confuses explications sur le thème. Résultat : elles filent toutes chez le nabot prognathe, l’escroc. Avec les filles, l’honnêteté ne paie pas.

Un de mes amis (quoique le terme « ami » soit un peu fort quand on sait ce qui suit) m’a un jour montré son carnet d’adresses, en cochant devant moi toutes les filles dans le lit desquelles il pouvait séjourner à tout instant. Sur simple coup de fil. Il y en avait douze. Il recalcula, incrédule lui-même, et émit à l’issue de la confirmation du nombre douze, un petit gloussement assez détestable. Douze, c’est peut-être le record que j’atteindrai au terme de ma vie amoureuse, si la chance me sourit et si le compteur se décide à s’affoler. Pour l’instant, il reste désespérément bloqué à Isabelle, qui n’est pas la première, mais pas loin. Eh bien, mon « ami », lui, les douze de toute une vie d’honnête homme, il les a là tout de suite, à portée de main.

A force, il a fini par me lâcher l’affaire : ce qui marche avec les filles, c’est un regard d’enfant perdu. Elles craquent toutes, elles veulent aussitôt te prendre sous leur aile (traduction : dans leur lit). Bon pourquoi pas. Je demande à voir. Eh bien, j’ai vu. A une soirée, je l’ai surpris en train de faire le truc de l’œil enfantin. Je n’en revenais pas : il a écarquillé les yeux, sourcils en circonflexes, et inclinant légèrement la tête. Ca n’a pas manqué, la fille a fondu et l’a pris dans ses bras, en susurrant un « ooooh » attendri. On croit rêver. Elles sont connes ou quoi ? C’est énorme !!!

Jamais je ne tenterai un coup pareil. Avec moi, la fille croirait au malaise vagal, me giflerait en appelant au secours et je me retrouverais allongé sur la table de la cuisine, à respirer des sels et autres saletés d’ammoniaque soit-disant pour me faire revenir à moi. Je le sais parce qu’en fait, j’ai essayé. Définitivement, ce n’est pas mon truc. Je préfère la sincérité. Au moins quand je suis moi-même, on me laisse mourir tranquille.

Ce qui marche aussi, je l’ai observé souvent dans les soirées, c’est le coup du ténébreux. Position : légèrement en retrait, regard lointain, chevelure en bataille, le poète maudit, mémoires d’outre-tombe. Accessoire : une écharpe qui flotte au vent (même sans vent), une cigarette portée à la bouche, les yeux plissés en un masque de souffrance intérieure. Expulser lentement la fumée, du style je suis revenu de tout, plus rien ne me touche, mes malles sont au port, je pars pour les îles, adieu. Génétiquement, la fille ne peut résister à une telle programmation. On ne peut pas lui en vouloir, elle est aimantée par les rivages douloureux que le ténébreux porte en lui.

De mon côté, j’ai beau les travailler au corps à force de blagues fines, aligner traits d’esprit sur traits d’esprit, à la fin de la soirée, elles partent avec Chateaubriand. Non sans une bise sur la joue du perdant : « tu nous as bien fait rigolé ! » Oui mais on ne couche pas avec le clown, on préfère toujours le dompteur.