« Le couvre-lit, sur lequel elle étendit quelques sopalins,
me rappelait celui de ma Tante »



Un jour, dans ce quartier chaud de la ville, une dame qui me voyant passer pour la septième fois le regard au sol, m’avait fait cette simple proposition : « Tu viens ? ». Sans le savoir, elle avait trouvé la faille.

Je n’ai jamais su résister à la demande d’une fille, doté d’une solide éducation « gentleman » qui m’interdit de repousser des avances de manière vexatoire. Ma réponse fut donc un évasif « pourquoi pas ? », qui me projeta à sa suite dans l’étroit et sombre escalier. L’escalier dont Clémenceau disait qu’il était « le meilleur moment dans l’amour ».

J’avais pour l’instant un peu de mal à l’apprécier, occupé que j’étais à discerner dans le noir de ce coupe-gorge d’éventuels agresseurs, car tout était simple, TROP SIMPLE. Je me souviens juste d’avoir croisé des clients dans le sens de la descente, ayant fait leur office, et prenant tous cet air faussement dégagé de l’innocent promeneur.

J’escomptais fermement que la dame me pose la question de savoir comment il se faisait qu’un jeune homme tel que moi ait recours à ses services, lors même qu’il suffisait que je me baisse pour trouver moult donzelles consentantes. J’avais déjà ma répartie toute prête : un numéro très au point de romantique désabusé, ne croyant plus en l’amour, mais goûtant la poésie des rencontres furtives. J’ajouterais que je tenais absolument à payer, pas question de passe-droit sous prétexte que je n’étais pas l’un de ces clients habituels perclus de misère sexuelle.

Autant dire de suite qu’il ne fut effectivement pas question de me dispenser du paiement –il me fut réclamé d’entrée- et encore moins de s’étonner de ma présence ici, moi le gentleman. Non, ça semblait parfaitement normal. L’affaire était mal engagée. Je ne suis pas un adepte des très longs préliminaires mais tout de même, une petite conversation badine autour d’un thé m’aurait aidé, plutôt que cette invite à me déshabiller, tandis qu’elle même ôtait ses vêtements, sans aucun sens de la mise-en-scène.

La chambre était à l’avenant. Quelques efforts rudimentaires pour rendre l’ensemble affriolant, mais sans aucun succès. Le couvre-lit sur lequel la belle (?) étendit quelques sopalins préventifs me rappelait fortement celui de ma Tante du Pas-de-calais ; les mêmes motifs floraux. Cette réminiscence n’était en soi pas follement érogène. Par-dessus tout j’ai le souvenir d’une radio posée sur une étagère, réglée sur RTL, le bulletin de 13 heures, et le rappel de la découverte du corps de la petite Sandrine, dans un sac au fond de la Nièvre.

Ceci et la position offerte de la maîtresse des lieux, couchée sur les sopalins, eut l’effet castrateur que les êtres sensibles me pardonneront. Je changeai de tactique et annonçai à la dame qu’en fait j’étais venu pour la sortir de cet enfer, et lui proposer une vie décente. Et s’il fallait ferrailler contre quelque souteneur véreux, je le ferais. J’étais sincère, je me voyais bien l’aider financièrement, lui redonner goût à la vie, lui faire découvrir le monde des arts et de la culture dont elle avait été privée, puis trouver un gentil mari postier, et un jour être le parrain de leurs enfants.

J’aimais bien cette idée. Elle moins. Après un soupir d’exaspération, elle m’a foutu dehors. Je m’en sortais assez bien. Parrain, c’est du boulot, il faut penser aux cadeaux, ne jamais oublier les anniversaires. C’est mieux ainsi.  Pas de regret.