« Ecrivain maudit, porteur d’un mal de vivre…
Excellent pour la drague ! »



Ecrire un livre… La voilà la bonne idée! L’écrivain fascine la gonzesse. La guitare aussi ça marche pas mal autour de 17-18 ans. Elles craquent assez facilement pour le guitariste. J’ai pu faire illusion un temps grâce à mes deux accords enchaînés. Mais dès que je tentais un Si mineur, le pot-aux-roses était découvert. Il y avait toujours un gars dans l’assistance qui me demandait alors gentiment la guitare, et nous jouait tout Marcel Dadi en picking. C’était mort pour moi.

En revanche, à cette même époque post-ado tourmentée, il suffisait de dire mystérieusement : « Oui,  c’est vrai, j’écris… » pour attirer l’attention féminine. Un crédit soudain nous était accordé : celui d’être un écrivain maudit, porteur d’un mal de vivre, accouchant d’une œuvre dans la douleur et à la lueur d’une chandelle. Ex-cel-lent pour la drague ! D’autant plus que, contrairement à la guitare, il n’est nul besoin de rien montrer. Au contraire, le mystère de l’œuvre soustrait au regard du monde - qui n’est pas prêt - est encore plus fort.

Autre avantage : si tu parles de ta souffrance à l’être aimé, au téléphone ou sur le pas de la porte quand elle s’en va, tu passe facilement pour un geignard, un pleurnicheur, une loque humaine. Car la femme aime qu’on soit fort en toutes circonstances, et méprise les faibles. En gros. En revanche, si cette même souffrance (la même !) tu la mets en phrases précieusement chantournées, farcies d’adjectifs tape-à-l’œil, paf ! c’est de la littérature, on ne se moque plus, tout le monde prend une mine affligée et ça passe comme un suppositoire.

Pas de doute, la souffrance se vend mieux à l’écrit, que bredouillée entre deux sanglots. Et si en plus ça devient un livre imprimé, avec le copyright, le dépôt légal et tout le bazar, ton nom sur la couverture, mazette ! C’est le retour assuré de l’être aimé, comme disent les cartes de marabout.

Si c’est possible, j’aimerais bien aussi ma photo, en quatrième de couverture. J’ai déjà l’idée de la posture : le regard vague au travers de la fumée de cigarette. Pas de sourire, surtout pas, c’est le meilleur moyen de passer pour un benêt au photomaton (pourquoi pas avec le rideau derrière !).

Sous la photo, l’éditeur aura la gentillesse de mettre un commentaire laudateur, prenant le pari qu’il faudrait désormais me compter parmi les plus grands. J’ai d’ailleurs appris que la plupart du temps, les écrivains rédigeait eux-mêmes cette petite note biographique. Alors ça, ça me plaît beaucoup ! C’est comme écrire soi-même son épitaphe. Si on me laisse faire je crois que je ne lésinerais pas sur les termes « incompris », et les formules « gagnant à être connu », « contrairement aux apparences » … (Je pense que j’aurais la lucidité de résister  à « doté d’un fameux gourdin »).

Je choisirais un titre suggérant de manière subliminale que l’auteur en chie un maximum dans la vie, et qu’il aurait bougrement besoin d’être consolé. Exemple : « Souffrance de toutes les douleurs ». Si les filles ne tombent pas dans le panneau au prochain salon du livre, je mange mon slip.

Quant au bandeau rouge sur la couverture, j’ai pensé à « POIGNANT ! ». Quoique, à la réflexion, surtout pas ! L’allusion est trop évidente au poignet, et à la veuve du même nom, ma véritable compagne du moment. Voilà comment on se trahit connement, à deux doigts du succès.