Nous deuxFraîchement quitté, le narrateur examine au scalpel les différents états de sa solitude forcée : faut-il rester drapé dans sa dignité ? Se mettre en quatre pour récupérer la félonne ? Ecumer les boîtes de nuit en draguant à tour de bras ? Ou si livrer plus confortablement aux plaisirs solitaires ?

Il est vrai que la tâche est moins facile quand on s’appelle Jean-Claude, qu’on est plus intelligent que beau et qu’on tente de dissimuler, derrière un sens féroce de la caricature, une sensibilité vive et lucide. Fausse vraie aventure autobiographique (tout le monde a connu un jour ou l’autre cet état de rupture amoureuse et chacun s’y retrouvera).

« Ce bouquin est une belle tranche de rigolade, une machine à fous rires… Un mélange unique de quotidien et de dérision qui permet de saisir l’essentiel en se gondolant »
LIBERATION

Format : Poche - 11 x 18 cm
Page : 190 pages
Editeur : J'ai lu (février 2009) - n°8839
ISBN-10 : 2290012432

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EXTRAITS

1. Un beau gâchis
Quelque chose aurait dû m’alerter. Un poids moindre sur le matelas. L’immobilité de la couette. Un silence palpable. Et surtout cette intuition de l’absence, qui nous vient d’on ne sait où. Mais tout à mon réveil douloureux, je refusais cette évidence : nous étions bien moins nombreux dans le lit. La moitié de la population l’avait déserté.
J’aurais pu mettre cette absence sur le compte d’une nécessité urinaire matinale, ou d’une envie soudaine (et rare) qu’elle aurait eu de me remonter des croissants de la boulangerie.  Cette fameuse intuition me l’interdisait : cette fois c’était plus grave. Me revint à l’esprit une expression singulièrement désuète, venue du fond des années quatre-vingt : « ça sent le pâté ».

Cette intuition et aussi, soyons honnêtes, une feuille pliée en quatre au bout du lit. Un papier offset, blanc cassé, dont je me souviens très bien que l’emballage le disait « idéal pour vos impressions couleur de textes et de graphiques, son velouté et sa planéité ( ??) impeccable donnent à votre présentation un caractère net et soigné ». Je cite de mémoire, car l’argumentaire m’avait touché par son appel à la sensualité, et convaincu de l’acheter par grosses ramettes.
Mon premier réflexe fut donc (évidemment je le regrette, mais dans les brumes du réveil, la machine tourne parfois à vide) de déplorer le gâchis. Une feuille complète, pour deux-trois mots… C’est une chose que j’ai du mal à supporter, comme les lampes allumées en plein jour et les chasses d’eau tirées pour un oui ou pour un non. On peut y voir de la mesquinerie, j’aime à y voir, moi, une conscience aigüe des ressources limitées de notre planète-mère.

Dans cet esprit, j’avais prévu un petit stock de papiers récupérés (photocopies ratées dont le dos est formidablement vierge), pré-coupés en quatre, et à disposition, pour les communications internes ne réclamant pas de développements littéraires, ou autres effets de manche. Ces petits mots à l’intention de l’autre, affûtés, tranchants, filant droit à l’essentiel. Qu’on pardonne mon triomphalisme, mais c’était précisément le cas. J’aurais apprécié qu’on leurs trouve un usage à cette occasion. Passons.

Ce petit mot sur sa grande feuille était écrit d’une main délicieusement féminine. Avec des pleins et des déliés comme on n’ose plus en faire. J’en fus immédiatement ému. L’écriture, tout comme la voix au téléphone possède un fort pouvoir d’évocation de la personne aimée. Elle est toute entière dans ces rondeurs, comme dans les modulations. J’en oubliai instantanément mes récriminations, alors même que ces quatre petits mots (dont un composé) flottant dans la vacuité blanche d’une feuille 21-29,7 entière, eussent pu les aviver. Force m’est de constater aussi que le fabricant n’avait pas tort de le claironner sur son emballage : le velouté donnait décidément un caractère net et soigné à la présentation.

Bon, et le texte ? me direz-vous…Je vais essayer ici ne pas trahir la pensée de l’auteur, d’en restituer toute la nuance . Ce petit mot disait : « je te quitte,  Jean-Claude ».
Bon point : l’auteur ne s’était pas embarrassé de fioritures. Un sens du raccourci tout à son honneur. D’autres moins inspirés, auraient ajouté un « pardon ! » détestable de culpabilité non assumée, un « je t’aime » en pleine contradiction qui aurait brouillé le message. Je sais gré à l’auteur également d’avoir renoncé à évoquer, au seuil du deuil, les sempiternelles allusions nostalgiques au « bon temps passé ensemble » à ces « moments tellement inoubliables » (mais pas au point d’éviter l’issue fatale, alors quoi ?). Ces figures de style destinées à atténuer la brutalité, à enrober l’amertume de sucreries ne rendent pas service.

Saluons ici le dépouillement de la formule « je te quitte Jean-Claude », qui ne laisse que peu de latitude  à l’interprétation.


2. Un prénom à coucher tout seul
Je n’ai jamais beaucoup aimé mon prénom, mais sur cette feuille blanche, dans cette configuration sémantique particulièrement ramassée, je l’ai carrément détesté.

Dans les films ou les bandes dessinées, un personnage un peu ballot, s’appelle à tous les coups Jean-Claude. C’est un prénom qui vient des années 60, pour l’éternité marqué du sceau de la ringardise. Je ne connais aucun Jean-Claude un tant soi peu reluisant. Au mieux, j’ai un Jean-Claude Bourret, présentateur-télé du journal de 13 heures spécialiste en France profonde et en OVNI. Pas de quoi vous enflammer un patronyme.

Ce prénom est une création de ma mère (on l’imagine, je n’y suis pour rien). J’y retrouve sa marque. Le buste de cerf (incorporant un baromètre) qui trône chez elle, aurait pu s’appeler Jean-Claude. D’ailleurs, qui sait, peut-être s’est-elle entraînée à l’appeler Jean-Claude, avant de passer à moi, dès ma naissance. Peut-être est-il une forme de jumeau monstrueux, vaincu, cloué au mur. Moi je serais celui des deux qui a réussi. Et ces bois sur la tête, symbole d’infortune conjugale, une malédiction qu’il m’aurait lancée, son aiguille barométrique définitivement bloquée dans ma direction sur « tempête, retour du givre»…

Et enfin, plus gênant : « Jean-Claude », ce n’est pas un prénom qu’on peut crier dans un orgasme. Ce n’est pas crédible. En tous cas, je ne l’ai jamais entendu en cette circonstance. Bien sûr on sera tenté de mettre en doute mes performances, qui fausseraient en l’occurence le raisonnement. Je ne crois pas. Car il m’est arrivé parfois de soutirer quelques, disons pour rester humble, bruyants soupirs de l’être aimé. Mais jamais aucun feulement modulant mon prénom dans un spasme. Des « Aaah Franck ! », des « Oooh Steve ! », des « hmmmm Michaël ! » dans les films, oui. Des « Hmmm Aah oh Jean-Claude ! », jamais.

Ce qui fait - pour revenir à notre affaire -  de la formule « Je te quitte Jean-Claude » une proposition tout-à-fait acceptable. A cet instant précis, moi-même, avec un prénom pareil, j’aurais envie de me  quitter. Il y a une espèce de logique inattaquable, le « je te quitte » s’agrégeant naturellement à « Jean-Claude », jusqu’à la redondance. A  dire vrai, la véritable incongruité, vient de la possibilité qu’il y ait eu une vie avec « Jean-Claude », avant que la raison ne revienne et « qu’on le quitte », pour rétablir l’ordre des choses.
Non vraiment, il y a une telle évidence que c’en est presque une de ces devinettes  stupides « monsieur et madame je te quitte ont un fils – Jean-Claude ».

La surprise, en revanche, est venue de la signature. Ou plutôt, notez la subtilité du message finalement foisonnant de fulgurances cachées, de l’ABSENCE de signature… La signataire doublement disparue et de la chambre, et du paraphe final. Infiniment pléonasmique elle-même. Une absente se nommant par l’absence, ultime pirouette non-verbale, brillantissime fuite dans l’informulé. Chapeau.

En revanche, son prénom absent, je l’ai toujours aimé. Isabelle. Assez difficile à porter, avouons-le. Il ne souffre pas la disgrâce physique. Il sanctionne d’une saillie de dérision, celle qui s’obstinerait à le porter, sans en mériter tout-à-fait la troisième syllabe. Une Isabelle moche est condamnée à n’être qu’un flagrant démenti.
Isabelle, elle, s’avançait comme une publicité qui tiendrait ses promesses ; un vœu réalisé. Peut-être faut-il y voir une prédestination des noms. Enfant, j’ai longtemps crû à cette hypothèse que le nom fait l’homme. Dans la rue commerçante, j’avais noté pas moins de deux confirmations éclatantes de cette théorie : le magasin de René Chaussures et l’enseigne « Jean-Marie Coiffeur ». Lorsque Jean-marie Coiffeur impeccablement cintré dans sa blouse en nylon bleue me coupait les cheveux à la brosse, on sentait qu’il était à son affaire. Comme le disait ma mère, il ne faisait pas le métier d’un autre. En même temps, je me disais : où est son mérite ? Avec un nom pareil,  Jean-Marie Coiffeur ne pouvait pas finir autrement. Cela dit, bravo d’avoir persévérer.

Quant à René Chaussures, j’appris fortuitement que ce n’était ni plus ni moins qu’un imposteur. Son fils était dans ma classe : Jean-marc Chaussures. Ou plutôt justement non, et c’est ce qui a trahi son paternel usurpateur : Jean-Marc Chapoutier. (On conçoit mieux, au passage, la nécessité impérieuse de changer de nom). René père avait donc pris un pseudo, comme n’importe quelle star de cinéma ou chanteur de variété. Seulement, ce ballot de René avait choisit un nom à mon sens trop évocateur de sa profession, un peu cousu de fil blanc. Un peu comme si Jimmy Hendrix s’était fait appeler Jean Guitare (ou Ringo Star, Richard Batterie). Peu importe, le magasin a fait faillite. Ce qui tend à prouver qu’il existe une forme de Justice Patronymique, et qu’elle est implacable.


3. Sachons trancher dans le vif
J’en étais là de mes réflexions, le visage aussi froissé que les draps encore tièdes de moi-même. La partie collatérale du lit me semblant déjà froide comme un linceul. Quand j’ai entendu du bruit dans la cuisine. Très exactement un bruit de valise qu’on remplit. Impossible de me tromper, des bruits de valise qu’on remplit, sans me vanter, avec les filles, j’en ai connus un certain nombre. J’ai l’oreille pour ça. Je suis même devenu une espèce de spécialiste, capable de distinguer à moins de vingt mètres un sous-vêtement en coton polyamide 30% synthétique remplissant une Samsonite à double serrure crantée.

Je tends l’oreille… je me concentre… C’était un bruit de jeune femme 25-30 ans, blonde, pliant une nuisette  en satin délicat  40° en machine, dans une Vuitton à double armature tungstène…En un bond j’étais à la porte, pour vérifier l’hypothèse … Gagné ! C’était presque ça (la nuisette était en dentelle de Calais, nettoyage à sec, bon mais sinon quel talent, non ?!)
Et la jeune femme 25-30 ans s’apprêtait à me « quitter-Jean-Claude » (expression désormais idiomatique), en prenant le chemin de la cuisine à la porte d’entrée, sans repasser par la chambre. Je vous ai déjà parlé de son sens du raccourci.

Comme toujours dans les grands évènements de la vie et dans les comédies italiennes, un poil de cocasserie s’invite dans le pure tragique. Car quoi de plus amusant que quelqu’un qui vous écrit qu’il part pour toujours et qu’on retrouve deux minutes plus tard ? (A la reflexion, je connais mille choses plus amusantes…). Pour une professionnelle de la rupture, si je m’en réfère par ailleurs à la froide efficacité de sa communication, elle avait mal calculé son coup, je trouve.
Sans vouloir jouer les donneurs de conseil, (je ne peux pas me le permettre car je suis un professionnel de la rupture mais côté largué - le camp d’en face), elle aurait dû finir sa valise, PUIS écrire le mot. C’était moins risqué, au regard du timing imposé. D’un autre côté si j’avais débarqué dans la cuisine, sans mot préalable, et si j’étais tombé sur un remplissage impromptu de valise, le pataquès eût été sensiblement du même ordre. Dans les deux cas, c’est nul.

A sa décharge, pour réussir un sans-faute lever discrêt-petit mot- valise remplie dans le temps réglementaire, elle aurait dû mettre le réveil à sonner. Ce qui m’aurait réveillé aussi. On devine la suite : explications à n’en plus finir sur l’horaire excessivement  matinal, sur ce regard fuyant (c’est le mot)… Tout ce qu’elle voulait éviter. Non là-dessus, je pense que nous aurions été d’accord si nous en avions discuté elle et moi (en même temps, c’est exactement le genre de discussion qu’elle aurait voulu éviter aussi, on n’en sort pas) : une rupture, ça doit être net et sans bavure. Tranché dans le vif. Non aux séparations filandreuses.

Qu’aurait-elle dû faire ? C’est une problématique que je connais bien. Par exemple, en ville il m’arrive parfois de rencontrer une vague connaissance. Je m’arrête donc pour une conversation faussement enjouée qui ratisse large tout ce que nous avons en commun. Quand l’un comme l’autre nous aurions épuisé nos munitions conversationnelles, et qu’un court silence s’installe, nous nous saluons bien bas, avec un peu d’effusion surjouée, promettons de nous revoir bien vite… et reprenons notre chemin.
Schéma classique, sauf qu’avec moi, une fois sur deux, c’est le même chemin !! C’est idiot. Nous voici pour deux cent mètres supplémentaires ou plus, côte à côte, à marcher en silence après ces adieux prématurés.  

C’est dans cette prolongation post-mortem que se trouve le parallèle avec notre situation présente. Ces retrouvailles avec elle (largement) anticipées inaugurent un temps inédit qui encombre tout le monde, le retrouvé comme le retrouveur. La rupture est déclarée, mais la séparation de corps n’est pas effective. Curieux no man’s land. Que sommes-nous l’un pour l’autre à cet instant ? Sous quel régime vivons nous ?
Dès lors face à ce quiproquo matutinal, plusieurs solutions s’offraient à moi. Faire l’imbécile (c’est tentant, je suis naturellement doué), celui qui n’a même pas vu le petit mot. Bonjour ma chérie ! Déjà debout ? Je te prépare un café…Avantage : ça laisse la possibilité à l’adversaire d’effacer son geste, de revenir à de meilleurs sentiments, sans s’avouer vaincu. Inconvénient : s’entendre confirmer le contenu du billet, mais version sourds et malentendants, donc un ton au-dessus et avec un brin d’irritation (que la sobriété du mot nous avaient épargné).

Deuxième solution : rester au lit. Faire le mort (en léger différé). Laisser le destin s’accomplir, sans profiter de l’étrange sursis, ni interférer inutilement dans le cours des choses. La voix bouddhiste. Ou de la lâcheté, c’est selon. Avantage : dignité préservée. Inconvénient : regrets éternels de n’avoir rien tenté. La sagesse populaire dit qu’il vaut mieux avoir des regrets que des remords.

Je n’ai jamais bien compris, moi qui n’ai en général que des regrets d’avoir des remords.